Entretien avec le Docteur Benoît Ripoll sur son parcours professionnel et les évolutions de la chirurgie
Le docteur Benoît Ripoll, chirurgien orthopédiste spécialisé en chirurgie du rachis et du genou, a accepté de partager son expérience professionnelle et sa vision sur l’évolution de la chirurgie. Depuis le début de sa carrière dans les années 1990 jusqu’à aujourd’hui, de nombreuses avancées technologiques ont changé sa profession. Dans cette entrevue, il nous guide à travers son parcours, partage ses réflexions sur l’hyperspécialisation en chirurgie, détaille les traitements chirurgicaux endoscopiques du rachis, discute des avantages de l’utilisation de l’intelligence artificielle et envisage l’impact futur de la réalité augmentée dans le domaine médical.
Intervieweur : Bonjour Dr. Ripoll, merci de nous recevoir.
Dr. Ripoll : Bonjour, de rien c’est avec plaisir.
Intervieweur : Alors tout d’abord, pouvez-vous nous parler de vos débuts dans la médecine, puis votre orientation vers la chirurgie du rachis ?
Dr. Ripoll : Bien sûr. J’ai commencé ma pratique médicale lors de mes années d’internat en 1994, après six ans d’études médicales. J’ai choisi une spécialité chirurgicale : l’orthopédie. Après un parcours généraliste me suis orienté vers la chirurgie du genou et du rachis. Ce qui m’a vraiment attiré vers la chirurgie du rachis, c’est son côté manuel, précis et, je dirais, « pimenté ».
Parallèlement , j’ai toujours eu un intérêt pour l’anatomie, que j’ai approfondi avec une maîtrise et en enseignant à la faculté.
Intervieweur : Vous ne faites donc que de la chirurgie du rachis aujourd’hui ?
Dr. Ripoll : Non, le rachis est une passion mais je fais aussi beaucoup de chirurgie prothétique du genou.
Intervieweur : Comment votre parcours s’est-il déroulé dans les services hospitaliers ?
Dr. Ripoll : J’ai travaillé dans des services d’orthopédie où j’ai traité des pathologies liées à la hanche, au genou et au rachis. Cette dernière est une chirurgie complexe qui nécessite une grande précision, étant donné ses implications sur les fonctions motrices.
Intervieweur : Et après ces années dans les hôpitaux ?
Dr. Ripoll : J’ai entamé un cursus universitaire visant l’agrégation, nécessaire pour enseigner dans les hôpitaux. Mais en parallèle, j’ai ressenti un attrait pour la chirurgie privée, que je trouvais plus dynamique et ambitieuse. C’était en 2004.
Intervieweur : Vous aviez donc une décision importante à prendre entre la voie universitaire et la pratique privée. Pourquoi avez-vous choisi le privé et à Aix-en-Provence ?
Dr. Ripoll : Même si j’avais l’opportunité de travailler dans un hôpital universitaire à Marseille, j’ai décidé de m’installer à Aix-en-Provence. Mon attachement à mes collaborateurs a joué un rôle crucial, dans cette décision. J’avais le désir de m’orienter davantage vers la chirurgie réglée et de m’occuper moins de traumatologie qui est chronophage et qui vous accapare même les WE,, aux dépens de la famille. Pour ce qui concerne le rachis, ce n’était pas simple car quand on traite cette spécialité il y a 2 écoles : l’école orthopédique ou l’école neurochirurgicale [NDLR : le rachis désigne la colonne vertébrale, qui va du crâne au sacrum] . A Aix j’étais dans la voie orthopédique, mais dans la région les médecins avaient tendance à orienter les patients en chirurgie du rachis vers Marseille, où il y avait de très bons neurochirurgiens.
Intervieweur : Vous avez mentionné des différences régionales dans la pratique de la chirurgie du rachis en France. Pouvez-vous nous en parler davantage ?
Dr. Ripoll : Oui, à Paris par exemple, la chirurgie du rachis est principalement exercée par des orthopédistes. À Marseille, c’est plutôt la neurochirurgie qui domine. Cette division remonte à des influences historiques et aux personnalités influentes de l’époque.
Intervieweur : C’est intéressant. On a tendance à voir la médecine comme une science uniforme, alors qu’elle est influencée par des courants de pensée et des voies d’abord différentes pour un même problème… La pluralité doit quand même être intéressante, non ? Retrouvez vous cela à l’ICOP et d’ailleurs pouvez vous nous parler un peu de la création de l’institut ?
Dr. Ripoll : Certainement. En 2004, je travaillais pour ma part à la clinique du parc Rambot avec d’autres spécialistes orthopédistes, et j’étais bien entendu au courant que de très bons chirurgiens orthopédiques travaillaient aussi ailleurs sur Aix, en particulier à la clinique Axium. Je trouvais dommage que nous soyons sur deux sites distincts. Quand j’ai entendu parler du projet HPP, j’ai été séduit et j’ai compris l’opportunité de nous rassembler. J’ai donc fait partie des instigateurs d’une collaboration plus poussée sur un même site, ce qui a conduit à la création de l’ICOP. On y a rassemblé plusieurs compétences et plusieurs générations de chirurgiens.
Intervieweur : D’ailleurs comment cela se passe entre les jeunes chirurgiens et les plus anciens au sein de l’ICOP ?
Dr. Ripoll : C’est très stimulant. Nous avons une grande diversité d’âges. Les jeunes chirurgiens apportent une énergie nouvelle, une vision neuve. Les chirurgiens plus expérimentés, comme moi, apportent leur expérience. C’est essentiel de transmettre notre savoir tout en restant stimulé, challengé. En avançant dans le temps, l’expérience doit être une force et non pas un frein : il faut rester ouvert aux évolutions. Donc on se perfectionne et on transmet pour assurer une continuité dans la pratique orthopédique.
Intervieweur : Quelle différence principale voyait vous entre la chirurgie actuelle et celle d’il y a 20 ans ?
Dr. Ripoll : Je pense qu’aujourd’hui on a beaucoup plus d’hyperspécialisation. C’est à double tranchant. D’un côté, cela permet d’offrir une expertise très ciblée, ce qui est excellent pour les nouveaux chirurgiens. Mais l’hyperspécialisation présente aussi des défis. Si on se spécialise trop tôt sans avoir une base solide, on peut manquer d’une vision générale, ce qui est crucial en chirurgie. L’idéal serait selon moi d’abord d’être un bon généraliste, puis de s’orienter vers une hyperspécialisation.
Intervieweur : Comment cette spécialisation a-t-elle évolué au fil de votre carrière ?
Dr. Ripoll : Quand j’ai commencé, la pratique était plus généraliste. On traitait une gamme plus large de pathologies. Avec le temps, la tendance s’est inclinée vers une hyperspécialisation précoce. Bien que cela offre une expertise pointue, cela peut parfois limiter la capacité d’adaptation face à des situations complexes ou imprévues.
Intervieweur : Vous suggérez donc un équilibre entre la généralité et la spécialisation ?
Dr. Ripoll : Absolument. C’est la clé pour être efficace tout en restant adaptable dans notre métier.
Intervieweur : Et en termes de technologie, comment les techniques évoluent dans votre domaine ?
Dr. Ripoll : Il y a de nombreux pans qui évoluent en permanence. Je citerais par exemple la chirurgie endoscopique du rachis, qui nous permet de traiter de nombreuses affections de la colonne vertébrale, comme les hernies discales et la sténose spinale, de manière beaucoup moins invasive. En particulier, la discectomie endoscopique nous permet d’éliminer les disques herniés à travers un tube minuscule, réduisant ainsi la douleur et le temps de récupération pour le patient.
Intervieweur : Quels sont les autres traitements endoscopiques que vous pratiquez couramment ?
Dr. Ripoll : Outre la discectomie, nous avons la foraminotomie pour agrandir l’ouverture par laquelle les nerfs sortent, la laminectomie pour soulager la pression sur la moelle épinière, et diverses techniques pour stabiliser la colonne vertébrale ou traiter la scoliose. Ces procédures nous permettent d’atteindre la zone cible tout en minimisant les dommages aux tissus environnants.
Intervieweur : On parle beaucoup de l’intelligence artificielle en ce moment. Comment cela a-t-il affecté votre pratique ?
Dr. Ripoll : L’IA nous impacte déjà et va sans doute révolutionner notre domaine. Par exemple, avec l’utilisation de scanners 3D, nous pouvons obtenir une image précise du squelette du patient avant ou pendant la chirurgie. Ceci, couplé à des outils connectés, nous donne une navigation en temps réel pendant l’intervention, augmentant ainsi la précision et la sécurité.
Intervieweur : Pensez-vous que ces technologies rendent la chirurgie plus efficace ?
Dr. Ripoll : Absolument. Ces outils réduisent les incisions nécessaires et offrent une meilleure visualisation. Mais il est important de noter que ces technologies en sont encore à leurs débuts. Je suis particulièrement enthousiaste à l’idée des futures avancées, notamment dans le domaine de la réalité augmentée. Sans ouvrir complètement une zone, vous pouvez voir vos instruments opérer. La réalité augmentée est sans aucun doute l’une des technologies les plus prometteuses pour la chirurgie. Imaginez pouvoir visualiser des structures internes à travers la peau, sans avoir besoin d’une incision majeure. Cela pourrait transformer de nombreuses procédures en interventions minimales. Des dispositifs comme des lunettes ou des écrans spécifiques pourraient afficher des informations en temps réel, nous aidant à naviguer avec précision à l’intérieur du corps.
Intervieweur : C’est assez impressionnant en effet… Avez-vous d’autres perspectives concernant les technologies d’avenir pour la chirurgie du rachis et du genou ?
Dr. Ripoll : Le futur s’annonce prometteur avec des techniques de moins en moins invasives, des technologies avancées qui permettent des interventions plus sûres et plus précises, la neuronaviguation en est un exemple, couplée à des outils connectées on peut mettre une vis entre les structures nobles vaisseaux et moëlle épinière sans trop de stress et avec une précision inférieure au millimètre. C’est une époque passionnante pour être dans le domaine de la chirurgie du rachis !
Pour ce qui concerne le genou on a fait l’acquisition sur l’Hôpital Privé de Provence d’un robot chirurgical qui permet d’augmenter la précision de pose des prothèses. La technologie est basée sur un scanner et une planification préopératoire, nous collaborons avec un ingénieur qui implante virtuellement la prothèse avant l’hospitalisation. Ceci permet d’optimiser la pose et le jour J le robot n’a plus qu’à reproduire le plan à l’aide de fraises et autres outils connectés qui reproduisent au millimètre la planification validée par l’ingénieur et nous -mêmes. On peut ainsi avoir une telle précision que nos n’utilisons plus que des implants ultraperformant offrant une meilleur fonctionnalité du genou et des récupération rapide .
Intervieweur : Oui cela sonne comme de la science-fiction devenue déjà réalité… Mais y a-t-il des inquiétudes liées à cette dépendance croissante des médecins à la technologie ?
Dr. Ripoll : Oui et non. Toute nouvelle technologie apporte son lot d’avantages et de défis. Même si l’Intelligence Artificielle peut rendre nos interventions plus précises et moins invasives, elle ne remplace pas le jugement humain. La technologie est un outil, mais en fin de compte, c’est le chirurgien qui prend les décisions.
Intervieweur : Quels conseils donneriez-vous aux jeunes chirurgiens qui débutent leur carrière dans ce paysage technologique ?
Dr. Ripoll : Tout d’abord, je dirais de ne pas négliger la formation générale. Avant de plonger dans des spécialités étroites, comprenez bien l’anatomie et la physiologie du corps humain. La technologie change, mais ces bases restent constantes. Ensuite, soyez curieux. Apprenez et adaptez-vous aux nouvelles technologies, mais n’oubliez jamais que la décision finale vous appartient. La technologie est un allié, mais le cœur et l’esprit du chirurgien restent essentiels.
Intervieweur : C’est sans doute un conseil précieux. Merci, Dr. Ripoll, d’avoir partagé vos perspectives avec nous aujourd’hui.
Dr. Ripoll : Avec plaisir.
Conclusion
L’entretien avec le Dr. Benoît Ripoll a offert un aperçu intéressant de son parcours professionnel, des évolutions de la chirurgie instrumentée et des perspectives sur l’avenir de la discipline. Sa passion pour la chirurgie du rachis, son rôle dans la création d’ICOP et sa vision des avancées technologiques composent un tableau complet, à travers son expérience et sa contribution au domaine médical. La collaboration intergénérationnelle au sein d’ICOP chirurgiens ajoute une dimension humaine à cette exploration de la médecine moderne.